La faculté à simplifier la réalité c’est une des bases de l’art. C’est évidemment le cas pour les dessins stylisés, « cartoon », mais c’est également vrai pour l’art plus réaliste.
Simplifier c’est faire des choix sur ce qui est important et ce qui peut être ignoré. C’est ce qui va faire que votre façon de voir le monde ne sera pas celle de votre voisin. Attention par contre, simplifier c’est faire ça consciemment, ça veut dire observer, voir les choses et choisir de les ignorer parce que ça nuit à votre image.
Dans le reste de l’article je vais vous donner des exemples de la fonction de la simplification dans les différents fondamentaux VLAD (Volume, Lumière, Anatomie et Design) qui sont à la base de ce que je propose sur l’Artiste Autodidacte.
VOLUME
Pour clairement comprendre un objet en volume il est essentiel de le simplifier, au moins dans un premier temps. C’est déjà assez difficile de comprendre suffisamment le volume pour dessiner librement ne serait-ce qu’un simple cube (essayez cet exercice pour vous en assurer : https://www.dropbox.com/s/5v7qusqqtrvc3ae/GrilleCube.jpg?dl=0 ).
Et pour le dessin final, sans même parle de la construction en volume, c’est en général assez important de simplifier. Ceux qui sont passés maîtres là-dedans ce sont les artistes qui travaillent pour le dessin animé (ou pour la BD en grande partie). Simplifier les formes permet non seulement d’aller plus vite mais aussi d’avoir un impact plus grand, une plus grande clarté mais nous en reparlerons dans la partie « Design ».
Un très bel exemple de simplification c’est le pixel art. Chaque pixel est utile et la simplification peut être poussée à l’extrême tout en gardant son pouvoir évocateur et représentatif. Quand vous avez des ressources limitées c’est là qu’il faut être créatif. Un exercice à faire par exemple pour exercer son esprit de synthèse peut être d’essayer de représenter un personnage qui vous plait dans un carré de 64 pixels par 64 (pour être large, le vrai défi commence plutôt à 16x16 pixel).
Dans le même genre on a la modélisation 3D en « low poly ». Low poly ça veut dire avec un nombre réduit de polygones qui sont les éléments constitutifs d’un modèle 3D. Plus le nombre de polygones est grand plus les surfaces peuvent être rondes ou complexes. Réduire le nombre de polygones était quelque chose de nécessaire dans le jeu vidéo en particulier au début de la 3D, pour économiser de la puissance de calcul et c’est de moins en moins le cas au fur et à mesure que les consoles et ordinateurs gagnent en puissance. Ca reste vrai pour les jeux où l’on doit afficher beaucoup d’éléments en même temps, comme dans les jeux de stratégie par exemple.
En général quand on utilise du low poly on compense en mettant plus de détails, d’informations dans les textures.
Mais on peut également choisir un style minimaliste et rester avec des couleurs plates et des polygones limités, il faut alors avoir un bon sens du design pour s’en sortir car il n’est pas question d’aller vers plus de réalisme ici.
Au final c’est plutôt la précision des volumes qui va compter, quel que soit le style, plutôt que leur complexité alors essayez de penser au maximum « formes simples » quand vous étudiez un sujet ou que vous créez un nouvel objet/personnage/environnement.
LUMIERE
Si vos volumes sont relativement simples la lumière en elle-même ne devrait pas être d’une complexité folle. La règle à retenir c’est en général de limiter le nombre de sources de lumière différentes pour éviter d’être confus dans le rendu. Un bon système d’éclairage de base, utilisé partout est constitué d’une lumière d’ambiance (pour éclairer les ombres), une lumière principale (pour bien définir les volumes) et une lumière arrière au sujet (pour faire ressortir la silhouette).
Ce n’est évidemment pas une règle absolue et vous pouvez choisir un autre schéma d’éclairage sans problème tant qu’il sert ce que vous voulez raconter. Par exemple, pour une scène d’un monstre qui sort de l’ombre vous voudrez peut-être utiliser uniquement une lumière principale, pour justement ne pas éclairer les ombres et laisser une part de mystère sur ce qu’il y a derrière ce monstre.
Au niveau de la peinture elle-même et surtout en termes de composition il peut être important de réfléchir à regrouper certains de vos éléments pour simplifier la lecture graphique de votre image. Ca permet d’avoir un plus grand impact, de guider le regard vers ce qui est important. Globalement le regard va être attiré par là où il y a le plus de petites formes contrastées, car c’est là qu’il y a le plus d’informations à déchiffrer. Essayez donc de simplifier ou de rapprocher en valeurs les zones moins importantes. C’est la grande différence qu’il va y voir entre une peinture et une photo, c’est là qu’est notre plus-value, on a le contrôle sur chaque zone de l’image, on peut retoucher, agencer, contrôler chaque partie de l’image pour guider le regard du spectateur.
Suivant le style que vous voulez adopter également, vous pouvez complètement simplifier votre approche de la lumière, comme chez Mignola par exemple avec toutes les ombres en noir pur.
Mais même si vous voulez aller vers quelque chose de plus naturaliste, parfois un simple coup de brosse bien placé est plus fort qu’un lent rendu qui sera plus fade même s’il sera plus « réaliste ».
A mon avis, une peinture avec un bon équilibre entre des zones bien définies, là où ça compte, et des zones plus indistinctes, suggérées là où ça n’est pas important c’est plus proche de la manière dont fonctionne le cerveau en plus. Une des fonctions du cerveau c’est de filtrer les informations, sinon on deviendrait fou. Je m’explique : il y a des tonnes d’objets dans notre champ de vision alors il faut bien hiérarchiser tout ça pour que notre conscience ne soit pas submergée. Le cerveau met alors en avant ce qui bouge (parce que c’est un danger ou une proie potentielle) puis ce qui nous intéresse à un instant T. Dans une image c’est pareil, pour être sûr que notre message passe, il faut filtrer et comme on n’a pas l’outil du mouvement il faut compenser avec d’autres astuces, comme l’utilisation des valeurs ou les lignes qui guident le regard.
ANATOMIE
J’en ai déjà parlé un peu quand je parlais de volume mais simplifier les formes complexes, comme celles du corps humain, en formes simples c’est une compétence indispensable pour être libre en dessin d’imagination.
J’ajouterai à ça qu’un domaine important dans lequel il est bon de simplifier c’est la gestuelle. Pour qu’une pose soit forte il faut isoler ce qui fait l’essence de la pose (en général ce qu’on appelle « ligne de force ») et faire en sorte que rien ne vienne la contrarier. Ensuite on peut l’accentuer mais c’est comme avec la parole, il faut s’assurer que le message soit clair avant de prendre un mégaphone pour le crier partout.
Pour finir avec l’anatomie, un autre domaine dans lequel c’est très important de simplifier c’est quand on étudie l’anatomie. Pour apprendre correctement il faut isoler les problèmes et donc simplifier au maximum pour s’occuper d’un aspect à la fois. Par exemple si vous voulez étudier le fonctionnement de l’épaule, vous pouvez prendre des modèles et laisser au niveau de croquis très léger toute la personne pour ne travailler en détail que l’épaule elle-même. Ca permet de se concentrer mais aussi de faire plus d’études d’un même sujet et ainsi de mieux faire rentrer les informations.
DESIGN
Au final, tout ce qu’on a vu précédemment et même le concept de simplification en lui-même relève du design. On peut dire que la simplification est un outil qu’on peut utiliser en design mais il y a encore des éléments que nous n’avons pas traité sur ce sujet. Pour commencer, dans la création d’un personnage, d’un objet ou autre, il est en général salutaire de réduire le nombre de matériaux utilisés et de créer une lecture graphique simple pour, encore une fois, guider le regard du spectateur.
Même des designs en apparence complexes, peuvent être assez simples dans la logique des formes qui la compose, le nombre de couleurs utilisées ou leur silhouette. Si tous les composants d’un design étaient complexes, le design manquerait de cohérence et de force. Si vous ne pouvez pas résumer votre design en quelques formes simples c’est certainement qu’il est trop confus ou pas assez icônique.
Après, suivant les sensibilités de chaque artiste et le public ciblé il peut être intéressant de simplifier plus ou moins vos designs. Un design plus simple peut être enfantin ou élégant, plus calme ou contemplatif. Un design plus complexe peut être plus ciblé vers les ados ou jeunes adultes, plus violent ou punk. Bien sûr ce ne sont pas des règles absolues non plus, il y a des exceptions à tout ça et ça se combine avec de nombreux autres éléments du design (en particulier les proportions et le langage de forme) mais c’est un base de réflexion pour que vous décodiez les designs que vous voyez et que vous aimez.
L’intérêt d’avoir un style simple est également qu’en général la réalisation est plus rapide, ce qui permet de se concentrer sur la composition, la narration, le design… Avoir un style plus complexe permet par contre de créer des images peut être plus impressionnante pour une partie du public et peut être que vous adorez aller dans le détail, cacher des éléments qui feront mouche pour les spectateurs attentifs. Tout est question de choix personnel ici.
CONCLUSION
Le but de cet article est avant tout de vous faire réfléchir quand vous créez, que ça soit d’observation ou d’imagination. A chaque étape posez-vous des questions :
- Qu’est-ce qui est important dans mon image ?
- A quelle forme simple je peux me référer pour positionner cet objet correctement en volume ?
- Quelles formes puis-je supprimer sans rien perdre de mon image ?
- Qu’est-ce qui est parlant et qu’est-ce qui est superflu dans ce personnage ?
- Comment puis-je simplifier cet exercice pour mieux retenir ce qu’il y a à comprendre ?
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